tu es autre

tu es autre. tu ne te lèves ni ne te laves plus. tu ne manges ni ne ranges plus. tu ne parles ni ne pleures plus. reclus dans ta chambre, tu ne t’inclus plus dans ce que tu nommais le monde. avant. tu ne bois plus ton café du matin chez martin. tu ne marches plus sur le trottoir d’en face pour regarder la jeune femme du 2e étage qui termine sa toilette à 7h07. tu ne cours plus à gauche en pestant contre ceux qui se promènent à droite sur les trottoirs roulants de châtelet les halles. tu ne sors ni ne souris plus. à qui que ce soit. tu ne lis ni n’écoutes ni ne regardes plus. rien. ni journal, ni émission, ni série. il faut dire que tu n’as jamais vraiment prêté attention au vacarme du monde. avant. tu faisais semblant, pour converser, être au courant. ainsi tu n’as pas été décontenancé lorsqu’ont campé en bas de chez toi, des cohortes d’hommes et de femmes. très vite tu as su que tu assistais au renversement de ce monde-là. bien sûr on les évacuait, comme ces déchets qu’on vire vite et qu’on enterre. jusqu’au débordement, jusqu’à ce que plus rien ne puisse contenir ce qui est produit par ce monde-ci. tu n’es plus celui que tu étais. avant. tu n’es plus ce manager qui optimisait, rationalisait, virait. vite. ceux qui étaient déchets ? tu n’as même plus goût pour ce qui t’alléchait encore. avant. tu n’es plus celui-là, tu es autre. et elle ? tu ne l’aimes plus.  d’ailleurs tu n’aimes plus. qui ou quoi que ce soit. tu n’as plus ni perceptions, ni sensations, ni émotions ni sentiments dans ce monde insensé. ta vie n’est que nuit. pour qu’elle soit rêve. tu ne vis plus que pour elle. si tu la convoques, elle ne vient pas. si tu l’invoques, elle ne s’éveille pas. tu sais sa susceptibilité. tu inhales les volutes qui encensent son corps volatil. crois-tu encore que tu retrouveras ce qui t’a fait la première fois vaciller, la seconde vriller pour enfin virer vers le vide ? tu sais son invulnérabilité. tu sais qu’elle te survivra. car elle est, depuis la nuit des temps. se peut-il que le néant puisse n’être pas ténèbres mais clairvoyance ? que l’absence de toute chose puisse ne pas nier l’être ? enfin tu la retrouves. la nuit d’un jour dont tu ignores le nom puisqu’il n’y a plus ni temps ni espace. puisqu’il n’y a plus ni pensée ni verbe. si son langage est silence illimité, de sa présence résonne un son incessant et sourd. cette langue qui a toujours été tienne se love dans ton corps, cavité vide et vibrante. celle que tu as enfin retrouvée t’enveloppe d’un voile soyeux, t’enivre d’une fragrance voluptueuse. ineffable substance qui élève ton âme. tu es enfin comme jamais tu n’as été. pourquoi retourner à tes tourments lorsque s’étend en toi l’apaisement ? là où tu résides désormais, tu es vivant, absolument vivant. se peut-il que la plénitude puisse être indifférence et vacuité ?

Inscription newsletter