Sœurs

Solo de solitudes
Montréal – Ottawa. D’où vient cette tempête qui paralyse le trafic et tourmente les coeurs ? Neige crissante, route glissante. Au volant de sa Ford Taurus, Geneviève Bergeron est assaillie par l’émotion qui s’engouffre dans les interstices de sa conscience et dégèle ses larmes. “Je ne suis qu’une chanson…” Mais qu’est-ce qui l’émeut comme ça ? Ce n’est pas les mots de Ginette Reno à la radio. Ce ne sont pas les élans pathétiques de la chanson qu’interprète la diva québécoise. Non. C’est le constat d’une absence. L’absence de cet “essentiel” et les manques enfouis, les sens oubliés, les sentiments tus. Ce que Geneviève ne sait pas encore, c’est que ce choc émotif annonce la collision qui surgira avec un autre corps solitaire sorti du brouillard : “une collision qui fera de ces deux êtres féminins les réceptacles de la grande Histoire, de ses violences et de la manière avec laquelle l’intimité des êtres parvient à tenir tête aux brutalités du temps.” (Wajdi Mouawad)

Fraternité et sonorité
Elle est seule(s) devant nous. Elle est une et plusieurs. Elle est Annick Bergeron, soeur de théâtre de Wajdi Mouawad (souvenez-vous de Nawal dans Incendies). Elle est aussi Nayla, soeur aînée de l’auteur-metteur en scène, ou plutôt ce qu’Annick Bergeron connaît de Nayla pour l’avoir côtoyée pendant plusieurs années à la demande de l’artiste. De cette rencontre est né un spectacle, qui est aussi un chemin vers la soeur de l’enfant que fut un jour Wajdi. Une aventure qui convoque la fraternité en tant que lien de parenté et d’affection ; qui invite la sororité en tant que lien de similitude et de solidarité qui unit les femmes, portées par le sentiment d’une condition collective ou d’une intimité commune.

Le cycle Domestique
Tout comme les spectacles Littoral, Incendies, Forêts et Ciels ont composé le cycle Le Sang des promesses, Seuls ouvre un nouveau cycle de création appelé cycle Domestique. Wajdi Mouawad poursuit l’exploration d’un autre mode de travail, retourne le sol de l’intime et arpente les sillons de ce qui sera une cartographie familiale, imaginant la famille comme territoire ou objet, décrit par cinq personnes depuis des angles différents. Après Seuls, symbole du fils, et aujourd’hui Soeurs, viendront les solos ou duos Frères, Père et Mère.

Processus de création
Dans la lignée de Seuls, Wajdi Mouawad dresse le socle de cette nouvelle création de l’intime sur quatre piliers/étapes : “Ressentir. Écouter. Attendre. Regarder.” Il a demandé à Annick Bergeron de plonger dans ce processus. Elle a observé, écouté, filmé Nayla. Concentrée sur l’utilisation du quotidien, la question de l’intime, de l’autofiction, elle a aussi consigné les observations et sensations émanant de ses expériences réelles. Au croisement de l’histoire fictive, cette matière se transforme en une écriture polyphonique, un récit élaboré de mots, montages sonores, images, objets et gestes, qui constituent les pièces d’un puzzle éparpillé dont l’assemblage forme une image encore mystérieuse.

Wajdi Mouawad
Né en 1968, Wajdi Mouawad passe son enfance au Liban et son adolescence en France avant de s’installer au Québec où, diplômé de l’École nationale de théâtre du Canada en 1991, il entreprend une carrière de comédien, metteur en scène, auteur et directeur artistique. Cofondateur avec la comédienne Isabelle Leblanc de la compagnie Théâtre Ô Parleur, directeur artistique du Théâtre de Quat’Sous à Montréal de 2000 à 2004, il crée en 2005 deux compagnies de création : Au Carré de l’Hypoténuse à Paris et Abé Carré Cé Carré à Montréal. De 2007 à 2012, il rejoint le Centre national des Arts – Ottawa en tant que directeur artistique du Théâtre Français. À ce jour, il a écrit une trentaine d’oeuvres dramatiques, radiophoniques, romans et recueils ; notamment Littoral – 1997, Incendies – 2003 (adapté pour le cinéma par Denis Villeneuve en 2010), Forêts – 2006, Seuls – 2008, Ciels – 2009, Temps – 2011. Ses écrits ont été traduits dans plus de dix-sept langues, ses pièces présentées dans toutes les régions du monde. Dans son parcours, Wajdi Mouawad exprime la conviction que “tel un scarabée, un artiste trouve, dans les excréments mêmes de la société, les aliments nécessaires pour produire les oeuvres qui fascinent et bouleversent ses semblables. Et de cette nourriture abjecte il parvient, parfois, à faire jaillir la beauté.” Parallèlement au cycle Domestique, il se consacre à porter au plateau les sept tragédies de Sophocle, en trois opus : Des Femmes (Les Trachiniennes, Antigone, Electre – 2011) ; Des Héros (Ajax – un cabaret et Œdipe Roi – 2014) puis Des Mourants (Philoctète – une conférence et Œdipe à Colone – une expérience – 2015) qui seront présentés à l’occasion de MONS 2015 – Capitale européenne de la Culture.

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