Seven Winters

Yasmine Hugonnet

Festival d'Automne à Paris


festival-automne.com


entretien et écriture

texte de présentation de l’œuvre pour la brochure et entretien avec l’artiste pour le dossier de presse

Qu’y a-t-il à l’origine de Seven Winters ?
Yasmine Hugonnet :
À l’origine du projet, le titre même est apparu comme une matrice dont je découvre peu à peu le contenu. Deux images-sensations ont également fait surface : la première est un mouvement allant du blanc aplati de la neige à la rougeur chaude de la peau ; la seconde est le désir de donner à voir un groupe de sept personnes comme une forêt de mondes, dont chacun aurait un écosystème particulier avec ses cycles et ses mouvements gazeux, telluriques, ou germinatifs… Est alors venue l’idée du cycle, des saisons et du retour. Dans ces hivers qui reviennent, ont lieu d’imperceptibles pertes et retrouvailles. Puisqu’on ne retrouve jamais exactement ce que l’on quitte, comment mesurer le degré de similitudes et de différences avec ce qui est, comment mesurer ce qui change ? Si l’on associe en conscience le semblable et le différent, que ressent-on ? Chaque lieu du corps est chargé d’expressivité. L’un des fondements de ma recherche, purement chorégraphique, est la dissection physique de l’émotion et le rapport entre forme, image et sensation. Le travail anatomique précis – jusqu’à la fibre musculaire qui anime le corps – et la dimension sculpturale du mouvement appellent des résurgences posturales et émotionnelles. Cette approche me permet de faire le lien avec la réciprocité que j’explore depuis quelque temps.

Qu’est-ce que la réciprocité comme pratique chorégraphique ?
 La réciprocité comme pratique est née de nécessités chorégraphiques. J’ai longtemps travaillé presque exclusivement en solo. Toutefois, après Le Rituel des Fausses Fleurs, Le Récital des Postures et La Traversée des Langues, j’ai eu envie de travailler à plusieurs, mais à travers un même corps, ce corps partagé qu’est le corps de la danse même. Après avoir ouvert à d’autres interprètes ma recherche personnelle sur le corps simultanément abandonné et volontaire, j’ai tout d’abord exploré la réciprocité dans la forme du cercle, un carré dans un cercle et cela a donné La Ronde / Quatuor. Comment être en collectif tout en préservant l’espace individuel de chacun, de manière équitable ? Il y a l’idée que les conditions de vie qu’on s’offre à soi-même agissent sur les conditions de vie de l’autre. Avec Seven Winters, j’approfondis ma recherche avec sept interprètes, un nombre impair. À mon sens, la réciprocité en danse signifie avoir la responsabilité du corps d’un autre et déléguer une partie de son propre corps à la responsabilité d’un autre. C’est une question de transmission de charge, de poids, de déplacement mais aussi de répétition du geste qui permet d’en illuminer les enjeux. Esthétiquement ce dédoublement réciproque d’un geste est ce qui compose un nouveau corps commun. Dans cette pièce qui repose sur la réciprocité, un nombre impair fait que l’un des interprètes peut se retrouver isolé. L’instabilité que sa présence engendre, qu’un nombre impair engendre, est une question passionnante.

Qu’est-ce que la réciprocité raconte de la relation ?
En débutant la recherche par la réciprocité essentielle, on constate qu’à partir de deux, tout est possible. Si la règle initiale de la réciprocité, qui sous-entend une emprise mutuelle, semble très limitée, elle ne cesse de produire de nouveaux possibles en obligeant à composer à deux un futur commun. À quel point un collectif peut-il soutenir les possibles d’une seule personne, à quel point le soutien est-il un levier de liberté ? Ceci nous mène à des considérations sociales – le couple, l’amitié, la filiation, la généalogie – qui, par des jeux de miroirs et d’appuis, s’incarnent dans des figures architecturales ou sculpturales. Déplacées dans l’espace et dans le temps, celles-ci révèlent ce qui se dissimule.

À ce propos, dans votre note d’intention, vous écrivez envisager cette création « comme un paysage dont on ressentirait les modulations de température ». De quelle manière travaillez-vous cette texture invisible ?
Dans ma pratique, je m’intéresse à ce qui est en mouvement hors de la forme visible, comme la densité ou la vibration. C’est une manière d’entrer dans la profondeur de l’image apparente, d’explorer l’espace entre deux êtres mais aussi entre deux mouvements. Je porte mon attention à ce qui enveloppe le corps et que je nomme la peau de l’espace. L’espace est alors une sorte de corps extérieur au corps physique du danseur à qui je demande de placer un centrage aussi bien au-dedans qu’au-dehors de lui-même. D’ailleurs, les corps dont je parle ne sont pas les seuls corps physiques des interprètes : ce sont les corps symboliques, les corps archétypaux que l’on convoque. J’aborde la réciprocité d’un danseur en relation avec un autre danseur mais aussi avec l’espace et, à travers celui-ci, avec le spectateur, en considérant la rencontre entre celui qui regarde et celui qui est regardé, en considérant la réciprocité comme une onde de forme. Si je transforme un geste, comment l’espace s’en trouve-t-il lui aussi transformé ? L’espace est habité de nos imaginaires et de nos mémoires. La composition se fait donc autant par les corps que par le dépôt des corps, autant par ce que l’on voit que par la mémoire de ce qui a été vu.

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