On a pu voir deux mains vigoureuses, ni larges ni fines, attachées à des poignets souples, prolonger des épaules et des bras dont les muscles, sollicités depuis tant d’années, ont façonné les arrondis et les creux. À bien regarder les paumes de ces mains, on a pu voir trois lignes devenues de profonds sillons à force d’empoigner, tandis que d’autres striures parcourent la peau. Une peau qui forme à la racine des doigts, des petits monts épais parcourus de crevasses comblées, bordées de résidus de peau blanche. Dans tous ces sillons, de la terre noire incrustée. Et en retournant cette main, on a pu voir l’épiderme glisser vers des ongles autour desquels la terre noire ne se déloge pas.
Ces mains pourraient être celles d’une agri- cultrice, des mains qui chaque jour raclent, enfouissent, tirent, équeutent. Des mains dont les lessives et les vaisselles n’altèrent ni la corne ni les taches. Ces mains pourraient aussi être celles d’une ouvrière, des mains qui chaque jour vissent, taillent, accrochent, étiquettent. Des mains qui font incessamment le même geste à la même cadence.
Ces mains qui ne sont celles ni d’une agricultrice ni d’une ouvrière, sont celles d’une suspensive : elles saisissent et accrochent puis relâchent une barre comme un manche sans fourche ni pelle. Quand bien même cette dernière cultive son lopin, pour le plaisir ou par nécessité — ceci ayant pour effet que la peau de ses mains durcisse, devienne rêche et agrippe mieux —, son métier n’est pas de se baisser vers la terre mais de se hisser vers le ciel pour se suspendre, tenir lâche, à quelques mètres du sol.
extrait d’un texte écrit pour la revue les feuilles, co-élaborée avec l’artiste suspensive Chloé Moglia
la revue sur le site de la compagnie Rhizome, à commander sur lespressesdureel.com
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