monstres de circonstances

Xavier Le Roy

la ménagerie de verre


menageriedeverre.com

Mélanie Jouen – En 2024, invité par l’Université de Giessen en Allemagne, vous donnez une conférence lors du symposium « The Monstrous and the Theater – Stagings of Monstrous Bodies and Orders » à propos de la mise en scène de corps et d’ordres monstrueux. Qu’est-ce qui a motivé la continuation de cette conférence en une pièce autonome ?

Xavier Le Roy – Dans le cadre de ce colloque, j’ai été invité à participer à une conversation avec des collaborateurs au sujet d’une pièce dont le titre contient le mot monstres. Les personnes que j’ai conviées à cette conversation se sont désistées en m’intimant ceci : « nothing about us without us ». En leur absence, je ne pouvais donc rien dire à propos du travail que nous avions mené ensemble. Or dans ce travail, j’ai toujours pensé qu’un « nous » nous incluait tous. Cette réplique est une façon de me signifier que je ne fais pas partie de leur « nous », et en même temps elle est un empêchement des possibilités de discussion, de débat politique. C’est une forme de discrimination contemporaine. Et ça, je le ressens comme quelque chose de monstrueux. C’est devenu un des sujets de ce travail : Quand devient-on monstre aux yeux des autres, et qu’est-ce qui fait surgir le monstre ?

Dans le prolongement de cette réflexion, après avoir créé Produit de circonstances en 2009, puis Produit d’autres circonstances en 2019, vous nommez cette dernière création Monstres de circonstances : puisque la première pièce traitait des corps comme produits d’une organisation sociale, politique et culturelle, laissez-vous entendre que les monstres, comme les corps, sont des productions sociétales ?

Oui, c’est un des propos que j’essaie de mettre en actes. Souvent les monstres effrayent. Mais ne seraient-ils pas construits à partir des peurs de leurs créateurs ? Aujourd’hui, en parlant d’humains on entend dire « c’est un monstre » ou « c’est monstrueux » : comment les monstres des fictions — que ceux-ci soient des mythes, des métaphores ou des transcriptions d’un problème social —, s’immiscent dans le réel, nous confrontant au quotidien ? Faire agir un être monstrueux ou un ordre monstrueux dans les fictions permettrait de mettre au travail des peurs collectives, de mettre en lumière les aspects sombres de l’être humain, de questionner l’altérité mais aussi l’acceptable ou le désirable, chez l’individu comme dans les contrats sociaux. Les événements géopolitiques actuels laissent à penser que de plus en plus d’êtres humains se comportent comme des monstres. Ceci me fait penser que les monstres ont peut-être perdu la fonction qu’on leur attribue dans certaines fictions et sont de plus en plus présents dans notre monde. Peut-on mettre au travail cette impression en construisant des monstres consciemment dans un geste artistique ? Peut-être faudrait-il faire agir cet ordre monstrueux dans la fiction pour s’exercer à résoudre des problèmes de notre réalité.

extrait

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