la cohorte des simples

Les fleurs de bourrache bleuissent le crépuscule orangé et orageux. Sorna adore ce parfum ter- reux mêlé de fer-blanc qui accompagne la chute des premières gouttes. Elle quitte l’appentis, sort sa langue et goûte l’eau comme on lèche une peau. La saison froide a été si sèche. Elle lève les yeux vers ce ciel qui gronde, tandis que l’air s’électrise et que tout s’intensifie : l’ail des ours embaume les sous-bois qui avoisinent la ferme, les grenouilles coassent le printemps ténu et Bilal surgit sous la pluie, un sourire sur ses lèvres charnues.

Depuis son arrivée ce matin, au gré de ses trajets, son teint cuivré et ses cheveux de jais ont sillonné le terrain : ici pour semer la mélisse et le sarrasin, là pour planter les poivrons et les tomates. Iel repartira le lendemain avec les caisses remplies de feuilles de primevère, de fleurs de lierre terrestre, d’écorces de chêne, de pois, de fèves, de roquette, de radis et d’idées. D’ici là, la cohorte dansera et ourdira ; c’est la dernière nuit blanche.

Les murs du préau éclairés à la bougie s’animent d’apparitions saccadées. Dans ce clair-obscur mouvant, les pas suivent les rythmes insufflés par les pierres sonnantes de Toma, par le clavier de Ian Shuai et le chant d’Indre. Les pieds nus repoussent le sol en terre battue, les genoux fléchissent et les dos s’étirent pour se tordre, avant de s’arrondir et envelopper un autre corps. Se laisser choir puis porter l’autre, prendre appui sur une épaule et s’étayer : la gravité a enseigné à Sorna ce que se confier à l’autre induit. Cette danse de la pesanteur, une alliance des contraires, a fondé le geste politique de la paysanne, qui porte pour seule coiffe une crête blanche sur son crâne foncé.

extrait d’un texte écrit pour la revue Les Utopiennes – des nouvelles de 2044, publiée aux éditions La Mer Salée à l’automne 2024
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