Premier contact
En création
–
juin 2014
–
“
Ayez le sentiment, la passion, le feu !
C’est tout… Et la folie ! il en faut bien un peu
”
Le Bouffon, Faust, Prologue sur le théâtre
Un spectacle
Faiseur de métamorphoses oniriques, Philippe Decouflé puise à la source du savant et du populaire, explose les codes en injectant à son art le spectaculaire, le burlesque et le bizarre. Il crée avec Contact une comédie musicale et visuelle, conte déraisonnable de nos passions (sur)humaines. Une bande de seize danseurs, acteurs, chanteurs et musiciens active notre mémoire collective en réalisant son musical. De l’idée originelle à la représentation première, les répétitions, hésitations et digressions font la création. Philippe Decouflé s’amuse de la mise en abyme et déroule le fil jusqu’à rendre visible au spectateur ce qui d’ordinaire lui est masqué. La chorégraphie, vue de face puis de dos, cède la place à la danse des coulisses, mécanique de précision dans l’effervescence et la discrétion. Mais à quoi jouent ces artistes ? Ils convoquent l’art, l’amour, la connaissance, le divin et l’avidité ; s’interrogent sur le sens du bien et du mal ; explorent l’essence duelle universelle en insufflant au romantisme faustien l’absurde et la fantaisie d’une “Decouflerie”. Dans cet appel à l’imaginaire et au plaisir du public, seule la liberté prime. Et (s’en)chantent alors la passion, le feu et la folie.
Dieu
Connais-tu Faust ?
Méphistophélès
Le docteur ?
Dieu
Mon serviteur.
Méphistophélès
Chez ce fou rien de terrestre. Il demande au ciel ses plus belles étoiles et à la terre ses joies les plus sublimes, mais rien de loin ni de près ne suffit à calmer la tempête de ses désirs.
Dieu
Il me cherche ardemment dans l’obscurité, et je veux bientôt le conduire à la lumière.
–
dialogue extrait de Faust – Prologue dans le ciel repris dans Contact – La Chanson du Paradis
Sur le plateau, les contrastes se superposent et les climats se succèdent, du clair-obscur du Faust, une légende allemande de Friedrich Wilhelm Murnau à la flamboyance du West Side Story de Jérôme Robbins. Les couleurs des costumes crient lorsque se brisent les lignes noires et blanches du décor expressionniste. Les images pré-filmées ou captées en direct, kaléidoscopiques, miroitantes ou tourbillonnantes, multiplient le champ des perceptions et illusionnent le réel. Danse, chant, musique, acrobatie et magie mêlés à la vidéo érigent des fantasmagories : la sensualité d’un couple enlaçant leurs chairs ; la pureté d’une danseuse s’envolant dans les airs ; la perversité d’un acteur enrôlant avec délice le mal… La chorégraphie est un hommage au genre et aux danses (dés)ancrées de leurs époques, un peu à la manière du Bal d’Ettore Scola : les frénésies du harlem shake, les poses du voguing, les jetés du rock soulèvent un délire espiègle et iconoclaste. Au delà, Philippe Decouflé déploie sa grammaire originale dans un dialogue permanent entre fresques collectives jouissives et séquences intimes ténues, chorégraphies à la géométrie savamment orchestrée et pantomimes dansées picorées à Charlie Chaplin.
“
L’art, usez-en mais laissez-en au hasard
”
extrait de Faust
Une musique
Nosfell et son complice Pierre Le Bourgeois signent une oeuvre originale, un opéra d’un autre monde. Depuis la traduction de Faust par Gérard de Nerval, l’auteur-compositeur Nosfell délivre un livret en plusieurs langues dont le Klokobetz. Son langage s’affranchit de l’intime pour devenir ici poésie des déités. La partition aux accords épurés, bricolée de claviers, percussions, électro, violoncelle, basse et guitare, invite le merveilleux et réveille les réminiscences de l’expressionniste Opéra de Quat’sous de Kurt Weill et Bertolt Brecht ou du surréaliste 5000 doigts du Dr T. de Roy Rowland d’après le loufoque et illustre illustrateur-auteur-rimeur Dr Seuss. Il sonde ses paysages sonores intérieurs et entrelace ses inspirations au fil de nos mémoires : la musique de Berlioz, le rock alternatif des années 1970 ou les bandes originales de Danny Elfmann… Investissant le récit, il écrit pour chaque personnage un thème, élément d’une harmonie dont la singularité réside dans une économie brute, un artisanat du présent passé par le tamis du temps et l’héritage de l’imaginaire collectif. L’artiste aime prendre les chemins de traverse, puiser à d’autres sources pour mieux s’abreuver. Après plusieurs années de tournée avec DCA, Nosfell s’est consacré à ses projets personnels et a sorti son dernier album Amour Massif au printemps 2014 (Likadé). Mettant ici de côté le Klokobetz pour écrire la passion en français et en anglais, l’hybride présente une autre facette de son identité multiple. Là aussi, il mue et quitte l’ombre. Ses voix en inflexions agiles expriment la dualité même, de la disgrâce à la beauté, de la profondeur terrestre à l’élévation céleste et guident les danseurs, choeur chantant fragile et puissant. L’animal-anormal et le chorégraphe-polymorphe partagent une même iconographie, bestiaire obsédant de mots et monstres fantastiques, zoo d’anamorphoses extraordinaires. Ils élaborent ainsi en s’accordant un univers extravagant, micro-macro-cosmique, ouvert à l’autre (et notre) monde.
Une évidence
Il y a longtemps que Philippe Decouflé a le désir d’une comédie musicale. Un désir qui n’est qu’évidence pour lui, enfant bercé par Les Enfants du paradis de Marcel Carné, artiste formé au mime, à l’expression corporelle, au cirque et à la danse par Isaac Alvarez, Annie Fratellini, Merce Cunningham et Alwin Nikolais. L’idée d’un art total, d’une poésie populaire et réjouissante à portée de paradis est au coeur de ses spectacles. Contact est donc là, aujourd’hui, telle une évidence dans son parcours. Il recompose ce qu’est pour lui la comédie musicale : le musical de l’âge d’or des cabarets de Broadway et du cinéma hollywoodien ; rend hommage aux grandes comédies de Jacques Demy et flirte même avec Bollywood… La comédie musicale étant alors sujet, matériau, ressort dramaturgique et forme. Contact se compose comme un disque pop-rock, fiction constituée de morceaux indépendants, un peu à la manière d’un Homme à la tête de chou. Dans cette dernière création, sa patte remarquable, son esthétique cinématographique, ses jeux optiques fragmentés et déstructurés se réinventent. Le saltimbanque suit ses intuitions et s’autorise à envisager ses créations comme perpétuellement mouvantes, avec pour point d’orgue : la relation au spectateur. Offrir l’émerveillement et réjouir les sens, deux dispositions pouvant mener chacun à l’échappée poétique du quotidien.
Une oeuvre collective
Contact représente pour la compagnie DCA un spectacle marquant l’état d’esprit qui la caractérise. Philippe Decouflé rassemble autour de lui les figures qui peuplent ses créations, collaborateurs pour certains depuis 30 années. Danseurs, acteurs, musiciens, chanteurs, scénographe, vidéaste, costumière, ces artistes aux identités fortes transfigurent la scène. À l’écriture, on retrouve Alice Roland, Clémence Gaillard, Christophe Salengro, Pierre Le Bourgeois et Nosfell ; à la scénographie Jean Rabasse ; à la vidéo Olivier Simola et Laurent Radanovic ; à la lumière Patrice Besombes ; aux costumes Laurence Chatou ; à l’interprétation, les membres d’une famille qui confère à chacun sa place singulière au sein de l’ensemble. Les caractères s’assemblent et évoquent une oeuvre qui a su inspirer Philippe Decouflé et une génération de chorégraphes : Kontakthof de Pina Bausch (création initiale 1978). La grande artiste signait là une fresque de l’humanité et des tentatives de communication entre hommes et femmes ; dessinait une esthétique nouvelle, celle d’un ballet aux corps imparfaits et aux personnalités profondes. Contact est ainsi aussi un hommage à cet emblème qui a contribué à l’édifice du répertoire de Philippe Decouflé. Un répertoire dont le socle est peut-être l’homme, fantasmant et passionné, fantasmé et passionnant.